Concerts filmés : l'avenir des concerts et des cinémas ?

Opéra, ballet, théâtre, humour… Depuis une dizaine d’années, on ne projette plus seulement des films au cinéma, mais aussi des captations de spectacles. Parmi celles-ci, les concerts filmés ont le vent en poupe, drainant souvent un nouveau public dans les salles obscures et offrant de nouvelles perspectives à leurs exploitants.

Cet automne, la programmation du CGR d’Angoulême tend à ressembler à celle de l’Accor Arena ou du Stade de France. Si la diffusion d’œuvres cinématographiques reste bien la principale activité de ce multiplexe de douze salles, son directeur Matthieu Poligaré, se réjouit de diffuser de plus en plus de concerts filmés. « Cela fait de nombreuses années que je pense que les cinémas doivent se transformer en pôles culturels, explique-t-il. Proposer des concerts filmés va dans ce sens. » La fréquentation lui donne raison, puisqu’il indique que la plupart de ces séances affichent complet, avec des réservations à l’avance, et ce malgré des typologies de publics assez différentes. « André Rieu, Michel Polnareff, Orelsan, Taylor Swift, -M- ou SCH, on ne peut pas dire que cela attire le même public, mais on constate que ce type de séances touche tout type de spectateurs, de tous âges. »

©Mr Music

REDÉCOUVRIR LE CINÉMA

La tendance ne se dément pas au niveau national. En 2022, les trois meilleures performances « hors film » enregistrées par le CNC ont ainsi été réalisées par des captations de concerts : Indochine Central Tour (118 900 entrées), BTS Permission to Dance on Stage - Séoul (54 500 entrées) et Coldplay Music of the Spheres - Live Broadcast from Buenos Aires (33 400 entrées). Il y a quatre ans, Mylène Farmer 2019 avait attiré 134 000 spectateurs dans 325 salles obscures.
Des chiffres qui pourraient sembler faibles comparés aux plus gros succès du box-office, mais qui, ramenés à un nombre de salles réduit, à des séances souvent uniques et à un prix d’entrée plus élevé (autour de 20 euros), constituent de véritables réussites. « Les exploitants sont friands de ce type de contenu événementiel, explique Marie Clary, responsable de CGR Events, le principal distributeur de concerts filmés en France avec Pathé Live. Cela leur permet d’optimiser le nombre de spectateurs par séance, sur des créneaux en semaine où ils n’arriveraient pas forcément à remplir leurs salles. L’autre objectif est d’attirer un public de spectateurs occasionnels qui n’a pas ou plus l’habitude de venir au cinéma. Pour les réhabituer à l’expérience cinéma. »

Des propos que François-Xavier Menou ne contredira pas. Directeur des cinémas Monciné à Anglet et à Béziers, il a commencé à diffuser du « hors film » au début des années 2010, « au moment de la numérisation des salles », d’abord à travers des captations d’opéra et de ballet, avant d’aller vers les musiques actuelles, les spectacles humoristiques, le théâtre et le sport. « Autant les tentatives sur le sport, avec des retransmissions de matchs de foot ou de rugby, ont rencontré peu de succès, autant sur les concerts, on a tout de suite senti une vraie appétence de la part des spectateurs. Et depuis une dizaine d’années, ces retransmissions se sont multipliées. » Un succès qu’il explique assez simplement. « Ça donne accès, partout en France, dans des villes moyennes, à des spectacles que les gens peuvent difficilement voir autrement, que ce soit pour des raisons géographiques ou économiques. » Et qui lui permet, de son côté, de toucher de nouveaux publics. « On fait la promotion de ces séances dans nos salles, mais on sait que le public se déplace beaucoup via les réseaux sociaux des artistes, les articles de presse liés à ces retransmissions. Des gens qui découvrent nos cinémas. C’est l’un des enjeux de ces séances pour nous. »

PROLONGER LES TOURNÉES

Alors que les ventes de DVD de concerts sont devenues insignifiantes, c’est aussi devenu un enjeu au sein de l’industrie de la musique. Comme le note Olivier Chassignol, qui travaille pour la Sacem au Support et à la Répartition des Droits Généraux : « Il y a une augmentation des droits d’auteur générés par la vidéotransmission ces dernières années, avec un public plus varié et plus nombreux. C’est une nouvelle manière de consommer le concert enregistré. Et pour les créateurs et éditeurs, en matière de revenus, c’est plus intéressant et rapide qu’un concert diffusé en ligne. » Prolongeant une tournée, consolidant les liens avec les fans, de plus en plus d’artistes s’intéressent à ce format. « Il y a une demande des labels et des artistes pour ce type de contenu, reconnaît Marie Clary. C’est une proposition complémentaire par rapport à leurs stratégies, et surtout, ça leur offre une visibilité sur tout le territoire. »

Faut-il dès lors s’attendre à voir se développer un peu plus le nombre de concerts diffusés au cinéma ? Les exploitants ne le souhaitent pas forcément. « On nous sollicite de plus en plus ces deux dernières années, mais je pense que le caractère événementiel est très important, estime François-Xavier Menou, qui n’oublie pas de rappeler qu’une salle de cinéma a quand même vocation à diffuser des films. Ça donne le sentiment au spectateur de participer à quelque chose d’unique, poursuit-il. Beaucoup d’artistes tournent de plus en plus aujourd’hui, faisant des salles de concert moyennes. Si ces artistes se mettaient à proposer des retransmissions de spectacles, y aurait-il un public pour ça ? Je ne suis pas sûr. » L’idée de proposer plusieurs séances d’un même concert ne suscite pas plus d’enthousiasme, comme le relève Marie Clary : « Pour remplir les salles, on s’est rendu compte qu’il était plus opportun d’axer la communication sur des dates précises, plutôt que de s’éparpiller sur une exploitation plus longue. »

VIVRE UNE EXPÉRIENCE

Le côté événementiel est crucial, pense également Matthieu Poligaré. « Ce type de programme, il faut être en mesure de le travailler, ne pas se contenter de le projeter, estime le directeur du CGR d’Angoulême. Un concert par mois, ce serait très bien. On aurait le temps de communiquer, de le travailler et de proposer un vrai évènement. Un par semaine, on risquerait de tuer le truc. » Faire venir un groupe local pour jouer en première partie du concert filmé d’un groupe de rock, faire appel à un traiteur pour proposer un cocktail en marge de la diffusion d’un opéra, depuis longtemps, Matthieu Poligaré et ses équipes cherchent à « habiller » ces séances. « Sur Taylor Swift, récemment, on s’est vraiment mis en mode concert. On a fait appel à un prestataire qui travaille sur des concerts et festivals. Avant de venir, ils ont regardé trois fois le concert de Taylor Swift, ont noté les thèmes de couleur, les effets de lumières selon les morceaux. Ils sont arrivés à 11 h pour une séance à 18 h, avec une grosse console et des lumières, qu’ils ont installées et paramétrées pour avoir le même rendu que s’il y avait un groupe sur scène. On avait aussi monté le son par rapport à une séance classique, afin que le public puisse se lâcher, crier, chanter sans s’entendre. Ça a très bien fonctionné. »

D’ailleurs, il en est persuadé, à l’avenir, « les effets pyrotechniques et visuels additionnels vont devenir un passage obligé » pour des salles de cinéma qu’il imagine se confondre avec des salles de spectacles. Généralisation du son Dolby Atmos, des écrans latéraux, et pourquoi pas 3D ou hologrammes, les opportunités d’évolution ne manquent pas pour rendre ces séances encore plus immersives et proches des « concerts réels ». « Les concerts sont de plus en plus impressionnants. Quand on voit les moyens mis sur scène, ce serait dommage de les diffuser comme des séances classiques. Il faut que le public qui vient dans nos salles vive une expérience. » Et de rappeler malicieusement que pour beaucoup de spectateurs dans les stades ou les arénas de plus de 10 000 places, les concerts se suivent déjà sur écrans géants.

Publié le 20 novembre 2023