Foot et musique, au stade de l’accord parfait

S’il y a bien un sport indissociable de la musique, c’est le football. À travers les hymnes et les chants, la musique fédère les fiers supporters de tous les clubs, avant, pendant et après le match. Chaque club possède son titre emblématique qui anime le stade et marque son identité propre.

Le soir du 29 novembre 2019, l’Olympique de Marseille reçoit le Stade brestois dans son antre du Vélodrome pour le compte de la quinzième journée de Ligue 1. Dans les travées, les supporters phocéens se chauffent comme à leur habitude en agitant les drapeaux et en entonnant divers chants bien connus dans les virages. Puis, une fois que le speaker a égrené le nom des 22 acteurs qui débuteront la partie, un concert de stroboscopes signale leur arrivée sur la pelouse. Comme c’est le cas depuis 1989, l’entrée des joueurs se fait au son d’un morceau de musique : « Jump », du groupe de hard rock américain Van Halen. Sauf que ce soir-là, au lieu des notes de synthétiseurs typiquement eighties qui caractérisent l’introduction de ce tube sorti en 1984, ce sont celles d’un piano à queue qui résonne.

En solo, sur la pelouse, le jeune Mourad Tsimpou, 15 ans, casque vissé sur les oreilles, réinterprète à sa sauce le hit de Van Halen : « Je me suis basé sur le thème original en essayant d’y apporter quelques variations personnelles et je dois dire que le public a plutôt bien réagi, raconte l’intéressé. Au-delà des applaudissements, ils ont chanté l’air de la chanson, c’était à la fois impressionnant et émouvant. » Rien d’étonnant pour ce petit prodige du clavier made in Marseille, originaire du même quartier que Zinédine Zidane et fan inconditionnel de l’OM.

C’est à la suite du buzz d’une de ses vidéos sur le web que son « club de cœur » sollicite Mourad Tsimpou pour jouer « Jump » face à Brest. Un coup de projecteur qui aurait de quoi décontenancer n’importe quel adolescent. Pas Mourad : « Jouer sur la pelouse du Vélodrome, c’est du plaisir, mais surtout énormément de fierté. Par rapport aux concerts que j’ai l’habitude de donner, il y avait plus de pression, car ce stade peut accueillir 60 000 personnes ! Mais dès que je pose les doigts sur le piano, j’oublie tout, je me concentre exclusivement sur ma musique. »

Sa prestation est un sans-faute, le public marseillais porte son minot en triomphe et, comble du bonheur, l’OM s’impose 2-1 ce soir-là. Carton plein pour Mourad, à qui cette expérience sera largement profitable pour la suite de sa carrière : « Cette vitrine m’a permis de faire plusieurs plateaux télé et surtout, d’interpréter la Marseillaise à l’occasion de la finale du Top 14 de rugby au Stade de France, en présence d’Emmanuel Macron que j’ai eu l’honneur rencontrer et à qui j’ai eu l’opportunité de raconter mon parcours. »

©Marino Bocelli

Born in the USA

Pour les néophytes des arènes sportives, l’expérience de Mourad Tsimpou au Vélodrome illustre bien la relation qui unit les clubs de football professionnels avec la musique. Aller voir un match, ce n’est plus seulement regarder une rencontre de 90 minutes. Avant le match, pendant la mi-temps, pour célébrer un but et après le coup de sifflet final, la musique est devenue omniprésente, et ce pour augmenter ce que toutes les directions marketing des clubs hexagonaux appellent « l’expérience-stade ». « Cela s’inscrit dans la reconfiguration de l’industrie du sport en “sportainment”, soit la fusion du sport et du divertissement, importée d’Amérique du Nord et qui est aujourd’hui mondiale », explique André Richelieu, expert de ces questions et professeur à l’École des Sciences de la Gestion de l’Université du Québec à Montréal. « Dorénavant, la musique, les jeux vidéo, les médias sociaux, la télévision, le streaming, etc., s’intègrent de plus en plus simultanément dans le cadre sportif. »

Aujourd’hui, nombreux sont les spectateurs qui se rendent au stade pour une multitude de raisons autres que celle d’encourager leur équipe. « L’idée est de vendre une expérience à valeur ajoutée qui transcende le sport, pour inciter les spectateurs à dépenser plus. Le sport est devenu une plateforme pour élargir sa base de clients et générer davantage de revenus, en y intégrant des dimensions de divertissement et d’amusement. On peut affirmer que c’est une manifestation de la société du spectacle, de l’âge du divertissement et de l’ère du désir et du plaisir, pour reprendre Debord, Gabriel et Derrida. Cela traduit également un courant fort de financiarisation du sport qui s’est accentué au cours des deux dernières décennies », explique le professeur Richelieu qui, pour illustrer le caractère mondialisé de cette logique, prend l’exemple « du partenariat entre l’industrie du cinéma de Bollywood et la Ligue Indienne de Cricket, afin d’attirer une clientèle plus jeune vers ce sport ».

Touche pas à mon titre

La musique serait-elle donc un simple outil pour faire du business ? Non, à l’évidence. Il suffit de prendre l’exemple de la relation entre l’Olympique de Marseille et « Jump » pour affirmer le contraire. Un exemple loin d’être une exception, chaque club ayant son hymne officieux, qui finit par constituer un véritable marqueur identitaire chez les supporters. « La musique permet aux supporters et aux équipes de créer des rituels. Plus les équipes impliquent les supporters dans ces rituels, plus les fans deviennent cocréateurs de leur expérience, ce qui favorise une identification au club encore plus prononcée », illustre André Richelieu.

Autre exemple, celui du rival absolu de l’OM, le Paris Saint-Germain. Dans leur jardin du Parc des Princes, les fans entendent résonner « Who Said I Would » de Phil Collins à chaque coup d’envoi depuis 1992. Délicieusement kitsch ? Au-delà des goûts et des couleurs, force est de constater que le morceau est indéboulonnable et continue de faire l’unanimité de génération en génération, même depuis que le PSG s’est vu accoler une étiquette bling-bling suite à son rachat par le Qatar en 2011.

À ce sujet, une polémique est née à la fin de l’été 2021. Alors que le club parisien vient de frapper un grand coup en signant la star argentine Lionel Messi, celui-ci est présenté sur un morceau signé DJ Snake, grand fan du PSG. Le titre en question est joué à nouveau au mois de septembre lors de l’entrée des joueurs face à Clermont. Tollé, les supporters multiplient les coups de pression pour sauver Phil Collins, obligeant leur direction à faire machine arrière : « Devant l’émotion suscitée par le changement de musique d’entrée des joueurs, Phil Collins revient au Parc dimanche », a ainsi tweeté le club moins d’une semaine plus tard. DJ Snake lui-même affirmait alors avoir « découvert qu’on a fait une musique d’intro (du morceau fourni pour la présentation de Messi, ndlr) pour l’entrée des joueurs alors que cela ne s’y prête pas » et qu’il ne « [pouvait] pas accepter cette situation en tant que supporter ».

Musical rival

Si la musique constitue une plus-value à l’expérience-stade, en diffuser se révèle plus subtil que d’appuyer sur le bouton « lecture » avant de lancer une playlist. Pour toute une partie du public, « le sport est encore vu, d’abord et avant tout, comme du sport », conclut André Richelieu. Et l’un des éléments marquants du football réside dans le soutien des supporters envers leur équipe, impliquant ainsi l’existence d’une rivalité envers un club considéré comme ennemi.

Dès lors, si la prestation d’un artiste marseillais comme Mourad Tsimpou à l’OM ou d’un Normand comme Orelsan sur la pelouse du Stade Malherbe de Caen (comme ce fut le cas en novembre 2021) est saluée par le public local, il n’en ira pas de même pour un Patrick Bruel, autre supporter invétéré du PSG, qui se rappellera longtemps des sifflets qui ont accompagné son apparition éclair à l’Allianz Riviera, le stade l’OGC Nice, où il a interprété deux chansons avant un match inaugural en 2013. Tout comme Breakbot qui, la même année, s’est attiré les foudres du public du Parc des Princes en diffusant par mégarde (ou ignorance, selon sa propre justification) lors de l’échauffement des joueurs parisiens… un certain morceau de Van Halen très apprécié du côté de Marseille.

Par Julien Duez

Publié le 17 octobre 2022