Discothèques : le bout du tunnel

Octobre 2021

Des banquettes qui prennent la poussière et une piste de danse désespérément vide… La crise du Covid-19 a été extrêmement difficile pour les discothèques, derniers établisse-ments autorisés à rouvrir leurs portes en juillet dernier. Il faut désormais reconstruire.

Boule à facettes
©Sacem/M. Chesneau

Plus de seize mois sans accueillir public ni artistes, c’est peu dire que les gérants de boîtes de nuit ont connu des heures sombres. Une attente interminable et difficile à supporter pour « ces chefs d’entreprise comme les autres » qui, comme l’explique Christian Jouny, ont le sentiment d’avoir été négligés et sous-considérés pendant de longs mois.
Propriétaire de trois discothèques sur la côte Atlantique, et porte-parole du SNDLL (Syndicat National des Discothèques & Lieux de Loisirs), c’est lui qui a été désigné pour négocier avec le gouvernement et défendre les intérêts de ses homologues. « Il y a toujours une image un peu sulfureuse qui colle à la peau de ce métier, à tort comme je m’emploie à le démontrer depuis plus d’un an. Le chiffre d’affaires des discothèques en France représentait 1 milliard d’euros au moment où l’on s’est arrêté, en mars 2020. C’est aussi 25 000 emplois directs, et 43 000 emplois supplémentaires quand on y ajoute les prestations de service comme la sécurité. Bien sûr, on n’est pas Air France ou Airbus, mais c’est quand même un secteur d’activité qui représente quelque chose ! »

Les longs mois de discussions et d’échanges avec Bercy – et parfois Emmanuel Macron en personne – n’ont pas entamé la motivation de Christian Jouny et sa passion pour son métier. Il a continué d’y croire, jusqu’au bout. « Les quatre premiers mois ont été les plus compliqués, parce qu’on était dans un flou total. Puis, en juillet 2020, après des mois de silence, on a obtenu des réponses politiques à notre situation. Ce fut un soulagement pour tous les exploitants, on s’est dit qu’on pouvait encore essayer de construire l’avenir. Depuis des années, malgré les différents gouvernements qui se sont succédé, la relation entre l’État et les représentants des discothèques en France était quasi inexistante… La crise du Covid a au moins eu ce mérite : pouvoir renouer le dialogue. »

Show must go on

Quand l’annonce de la réouverture tombe, c’est une véritable course contre la montre qui commence pour être fin prêt le jour J.
Les gérants dont les clubs sont situés dans des zones touristiques ont logiquement tenté le tout pour le tout, afin de ne pas passer à côté d’une nouvelle saison. D’autres ont préféré attendre la rentrée avant de se lancer. C’est le cas de Charlène Adam, cogérante de L’Ostra à Nancy avec son époux Emmanuel. Ensemble, ils ont choisi la date du 23 octobre : « On n’ouvre pas une discothèque comme on ouvre une boulangerie. Il nous fallait pour commencer l’autorisation de la mairie, qu’on a obtenue fin septembre. Après tous ces mois de fermeture, nous avons dû repasser les tests de vérification des alarmes à incendie, et de désenfumage, entre autres. Comme on accueille du public, on est très contrôlés. Il a fallu aussi trouver du personnel de vestiaire et de sécurité, car certains de nos employés ont changé de métier pendant la fermeture. Tout ça prend du temps. On a eu envie de faire les choses bien, et non pas dans la précipitation. »

Même stratégie du côté de Jean-Philippe Desmottes, le patron du Guest’s, au Mans, qui a rouvert ses portes le 9 septembre. En quatorze années de carrière dans le monde de la nuit, il avait bien sûr connu des hauts et des bas, mais jamais à ce point.
Loin de se laisser abattre, c’est l’énergie qu’il a mise dans la gestion de son entreprise, même fermée, qui lui a permis aujourd’hui de retomber sur ses pieds. Il raconte : « Faire les bons choix, les bons calculs, négocier avec les fournisseurs et les banques, trouver des solutions pour les emprunts immobiliers du club… Tout cela m’a permis de redémarrer de manière sereine dans de très bonnes conditions. Sans oublier les aides que nous avons perçues, qui ont été très utiles. Sans elles on aurait mis la clé sous la porte, c’est sûr. »
En plus du fonds de solidarité, et des PGE (prêts garantis par l’État), les discothèques ont pu compter sur la Sacem, qui a fait le choix de suspendre les facturations de droits d’auteur pendant la période de fermeture. Sans oublier l’opération « Tous en Live », qui est venue marquer le coup de cette reprise générale : une aide financière accordée par la Sacem aux exploitants qui organiseront des événements musicaux dans leurs établissements (discothèques, mais aussi bars et restaurants) avec le concours d’artistes, auteurs, compositeurs, interprètes, groupes musicaux ou encore DJs.

Dj
©DisobeyArt

Des banques frileuses

Hélas, pour certains chefs d’entreprise, les aides n’ont pas suffi à sortir la tête de l’eau. Sur un total de 1 600 établissements à l’échelle de la France, 152 ont fermé leurs portes définitivement pendant la crise du Covid. « Et 243 sont en grosse difficulté, souligne Christian Jouny. Ce qui signifie que pratiquement 25 % de la profession est encore dans une situation extrêmement compliquée. »

Bien souvent, ceux qui se tournent vers leur établissement bancaire ne sont pas accueillis les bras ouverts. Charlène et Emmanuel Adam ont par exemple été obligés de contracter un crédit professionnel suite au refus de leur banque de leur accorder un PGE. Tant pis si le taux est moins avantageux, le couple n’a pas le choix s’il veut régler les loyers en retard et les impayés qui s’accumulent. « Trois ans de remboursement en plus ce n’est pas rien, confie la jeune cogérante, voilà deux ans que nous n’avions plus de crédit… »
Une situation qui met en rogne Christian Jouny : « Les banques ont toujours été frileuses sur la question des financements accordés à notre branche, et la crise est venue renforcer ce phénomène. D’ailleurs, 90 % des demandes de financements déposées font l’objet d’une discrimination absolument lamentable. Plusieurs réunions tripartites avec le gouvernement et des représentants du secteur bancaire ont déjà eu lieu. Il faut que notre ministre de l’économie Bruno Lemaire s’empare de ce sujet. On a besoin de ce dernier coup de main. »

Le retour de la bamboche

Qu’ils aient déjà rouvert, ou soient sur le point de le faire, tous les gérants de discothèques ont connu la même angoisse. Ils seront prêts, mais le public, lui, sera-t-il au rendez-vous après ces longs mois sans fouler le sol des discothèques ? « On appréhende un peu, acquiesce Charlène Adam. On a très mal vécu l’attente. On se demandait combien de temps on allait pouvoir tenir, et on se pose encore des questions sur l’avenir. On voit le bout du tunnel, mais on sera quand même plus sereins après quelques week-ends de rodage. »

Christian Jouny, n’a quant à lui pas regretté son choix de rouvrir deux de ses établissements en juillet. Même avec une jauge maximale à 75 % encore à vigueur à cette période, et des débuts qui se sont révélés un peu chaotiques : « J’ai d’abord connu trois nuits catastrophiques. Début juillet, quasiment aucun jeune n’était vacciné, et nous avons dû refuser une grande majorité de clients. Puis, nous avons été en mesure de proposer des tests antigéniques à la porte, en partenariat avec des pharmaciens qui se déplaçaient chaque nuit devant nos établissements, et réalisaient entre 130 et 200 tests par nuit. Malgré tout, on a vécu un été plutôt surprenant. La clientèle s’est présentée, elle a joué le jeu du passe sanitaire, contrairement à ce qu’on imaginait au départ. »

Au Mans aussi la fête bat son plein depuis la réouverture : « On a retrouvé tous nos habitués, et aussi de nouveaux clients, comme les jeunes qui ont eu 18 ans en 2020 et n’avaient pas encore pu sortir en club. Ils étaient euphoriques en découvrant le Guest’s, s’amuse Jean-Philippe Desmottes. Ça nous a fait du bien au moral. On n’est peut-être pas une profession indispensable, mais ils ont besoin d’un exutoire, et c’est aussi notre métier d’encadrer la jeunesse. » Une jeunesse sacrifiée qui, après de longs mois à rester enfermée, a amplement mérité de pouvoir se défouler et danser jusqu’au petit matin.

Céline Puertas

Publié le 07 octobre 2021