La food, nouvelle star des festivals ?

Il y a une dizaine d’années, bien manger pendant un festival de musique relevait de l’exploit. Le choix offert sur place était d’ailleurs plutôt maigre (et onéreux) : une saucisse-frites baignant dans l’huile ou un sandwich jambon beurre un peu mollasson avalé sans conviction entre deux concerts.

Sans oublier les peu engageants stands de tartiflette. Mais aujourd’hui, plus question pour le public de dépenser 15 € dans un casse-croûte qui ne tient pas la route. Plus besoin non plus, de se poser la question de ce qu’on va pouvoir trouver de comestible une fois sur place : la plupart des festivals proposent désormais un « food court », soit une sélection de stands et de food trucks, avec des offres variées et de qualité : burgers, cuisine végétarienne, sandwiches haut de gamme et… même des fruits de mer !

©Kasto

Comme au festival normand Cabourg mon Amour (du 24 au 26 juin) où les festivaliers peuvent avaler huîtres, crevettes et autres bulots (d’un producteur local évidemment) en écoutant les ritournelles du chanteur belge Pierre de Maere ou la house bigarrée du producteur et DJ Myd.

En quelques années, la nourriture est même devenue un moyen pour les organisateurs de satisfaire un public à la fois fan de musique, avide de concerts et appréciant les découvertes culinaires.

Certains festivals mettent la barre haute, comme We Love Green, précurseur sur les questions d’écologie et du bien manger depuis sa création en 2011.

Stars des fourneaux  

« L’image des chefs a évolué ces dernières années, ils sont devenus des personnages médiatiques et n’hésitent plus à sortir de leurs restaurants et à multiplier les collaborations afin de mettre à profit leur notoriété, analyse Valentin Joliff, agent de chefs à la tête de sa structure Food & Talents. C’est aussi une logique très générationnelle. Les chefs qui viennent cuisiner dans les festivals ont une trentaine d’années, et ont, eux-mêmes, plus jeunes, fréquenté ce genre d’évènements. »

Ces chefs, qui possèdent une communauté très importante sur les réseaux sociaux, participent également à médiatiser l’évènement auquel ils participent auprès de leurs « fans », et bénéficient d’une belle exposition pendant les festivals de musique, où ils peuvent espérer glaner de potentiels futurs clients. Une stratégie « gagnant gagnant » pour les organiseurs donc, comme pour les cuisiniers. L’intérêt est aussi évidemment économique. « Pour une production de spectacle ou d’évènement, qui prend un pourcentage sur le chiffre d’affaires réalisé par le chef, c’est une bonne opération, poursuit Valentin Joliff. Et puis c’est toujours moins cher de faire venir un chef qu’un artiste, car ces pratiques sont encore en train de se structurer. Dans trente ans, un chef connu prendra sûrement un cachet astronomique pour faire le déplacement, mais pour l’instant ce n’est pas encore le cas. »

Le public lui aussi y trouve son compte, en ayant la possibilité de goûter à un prix accessible les plats de chefs en vogue dont les restaurants sont complets des mois à l’avance, ou dont les menus ne sont pas à la portée de toutes les bourses.
À l’image de Jean Imbert, aujourd’hui aux commandes du Plaza Athénée, à Paris (où une entrée comme « L’artichaut Catherine de Médicis » coûte 76 € tout de même, et les « asperges blanches sauce maltaise » la coquette somme de 86 €). Le Parisien ultramédiatisé (il a entre autres ouvert un restaurant avec Pharrell Williams à Saint-Tropez) possède depuis 2017 son propre stand « Lola Chef » au festival Lolapallooza, à Paris. Il convie en prime cette année Mory Sacko et Cédric Grolet, deux pointures de la scène food actuelle, véritables rock stars des fourneaux, qui vont enchanter les fans de cuisine.

Le phénomène n’est pas que parisien. À Villefranche sur mer, à quelques encablures de Nice, le festival La Crème accueille cette année Juan Arbelaez, originaire de Colombie, mais véritable star nationale, qui proposera un barbecue de la mer sur la plage. Cuisiner les pieds dans l’eau dans une ambiance détendue, ça change forcément du rush des cuisines durant le coup de feu…

Festival gastronomique

Nul besoin de faire venir de grandes stars pour parler à l’estomac des festivaliers, l’important c’est la qualité des produits proposés. Voilà le mantra du festival La Douve Blanche, qui se déroule du 8 au 10 juillet en Seine-et-Marne, au Château d’Egreville, « l’un des premiers festivals gourmets de France », selon son cocréateur, Antonin Girard. Il est porté par un collectif, Animal Records & Kitchen, qui depuis ses débuts en 2014 fait rimer gastronomie et musique.

Le festival, à taille humaine, attire environ 2500 personnes par jour, qui viennent onduler sur une programmation électro-pop pointue, mais pas uniquement. « La food est devenue un vecteur pour attirer de la clientèle, aujourd’hui cela fait partie intégrante de l’image d’un festival alors que ce n’était pas le cas il y a dix ans », explique Antonin, directeur artistique culinaire, lui-même à la tête de son restaurant parisien Pantobaguette.

Et si le food court de La Douve Blanche, accessible à tous les festivaliers, est bien achalandé avec ses sardines grillées, poulets fermiers rôtis et pitas aux légumes, les organisateurs proposent aussi une formule « Festin de chefs », accessible aux festivaliers qui dépenseront pour l’occasion 62 euros supplémentaires pour un déjeuner ou un dîner sur mesure mitonné par de jeunes chefs prometteurs : « On revendique notre format défricheur en sélectionnant des talents montants, souvent des femmes, pour leur donner un maximum de visibilité. »

Et ça fonctionne. Le festival est aujourd’hui à l’équilibre, entre autres grâce à son offre food. « On produit tout nous-même sur place, là où We Love Green par exemple invite des restaurateurs qui produisent leurs marchandises dans leurs laboratoires. On récupère 70 % des recettes, quand eux n’en prennent que 30 %. Notre panier moyen est d’ailleurs assez énorme, chaque personne dépense entre 60 et 100 euros durant le week-end », précise Antonin.

Alors rien n’est laissé au hasard, même quand il s’agit du petit-déjeuner servi au camping, composé d’un stand de fruits de la Drome, de café haut de gamme et de smoothies frais.

Mais ce n’est pas tout, le festival a également instauré des conférences et des tables rondes axées autour de la gastronomie avec des intervenants variés comme des petits producteurs ou les fondateurs d’Eco-table, un label qui milite pour une restauration durable. Le tout dans une démarche pédagogique, puisque l’accès à ces talks est gratuit : « Seulement 180 personnes ont accès aux repas haut de gamme pendant le festival, on avait envie que le grand public aussi puisse s’informer sur la question du bien manger, et découvrir et échanger avec les chefs invités. »

Aujourd’hui, les festivals l’ont compris : pour séduire le public, il faut parler au ventre comme aux oreilles. Une nouvelle stratégie sans fausse note ?

Céline Puertas

Publié le 17 juin 2022