Faciles à créer et de plus en plus écoutées, les webradios musicales ont connu un fort développement ces dernières années. Se passant de publicité et de subventions, elles sont souvent affaire de passionnés, mais aspirent aujourd’hui à être reconnues comme un vrai média.
Les webradios sont-elles les descendantes des radios libres des années 1980 ? Quand on officie à l’antenne sous le nom d’Alice La Terreur, la comparaison est tentante. Même effervescence, même liberté de ton… « Il n’y a pas l’aspect transgressif, mais on peut retrouver des similitudes. C’est un truc de passionnés, avec un côté débrouille, en marge des radios traditionnelles », note Alice Fion (alias La Terreur), qui a créé Ola Radio il y a quatre ans. À l’époque, elle vient de finir son service civique chez Radio Campus à Bordeaux et cherche à continuer à faire de la radio tout en souhaitant mettre en avant un pan de la musique électronique, émergente et avant-gardiste, absente des ondes. Monter une radio sur Internet apparaît alors comme une évidence, réflexion encouragée par la facilité de la démarche. Si elle n’omet pas de préciser que faire vivre une webradio demande du temps, de l’effort et de l’aide, « afin de pouvoir proposer du contenu 24h/24 », et un peu d’argent « si l’on souhaite s’équiper avec du matériel et louer un studio », elle souligne que d’un point de vue technique, « tout le monde peut se lancer avec un ordinateur dans sa chambre ».
Une démocratisation permise par l’arrivée ces dix dernières années d’outils offrant, généralement contre un abonnement, la possibilité de créer et diffuser sa radio en quelques clics. « On met à disposition de nos clients un management 100% en ligne sur lequel on peut envoyer ses musiques, créer ses playlists et être entendu très facilement partout dans le monde », détaille Charles de Potter, directeur général de RadioKing, une plateforme française dédiée aux webradios devenue incontournable. Lancée en 2013, elle héberge aujourd’hui 3000 radios, très majoritairement musicales, dont la moitié est installée en France. D’après son dirigeant, ce nombre devrait continuer d’augmenter. « C’est un marché qui est toujours en croissance, avec des radios qui se spécialisent sur des créneaux musicaux de plus en plus précis, ce qui est une très bonne façon de se démarquer. On a connu un boom au moment du confinement, avec une hausse des créations de radios et des audiences phénoménale. Mais ça continue. En 2022, on a fait +30% d’audience par rapport à 2021. »
Un modèle économique balbutiant
Directeur de Tsugi Radio, webradio affiliée au magazine musical du même nom, Antoine Dabrowski le reconnaît : « Il y a eu une bascule au moment du confinement. Comme tous les médias numériques, on en a profité, les gens prenant de nouvelles habitudes. On a eu un gain d’audience important pendant le confinement, qui s’est évidemment un peu érodé, mais par contre on a eu un gain de notoriété qui ne s’est pas perdu. »
Une notoriété qui a permis à sa radio, et à d’autres, de décrocher de nouvelles opportunités en termes de développement économique. « Le modèle économique des webradios est balbutiant pour la simple et bonne raison qu’il n’y a toujours pas de marché publicitaire, explique-t-il, mais de plus en plus de webradios sont sollicitées par des marques, des structures, des institutions, qui veulent produire du contenu avec eux. Ça peut être des podcasts, ou alors venir couvrir un événement, animer un plateau radio lors d’un festival. Il y a eu un certain désengagement des médias traditionnels sur les festivals de musique, et beaucoup de ces événements ont besoin d’une couverture médiatique. Ce n’est pas seulement un enjeu d’audience, mais d’image. On apporte une vision éditoriale à leur événement, qui donne du sens à leur travail. »
Antoine Dabrowski y voit aussi une forme de solidarité. « Les seules aides existantes pour les radios concernent les radios associatives, mais pour en bénéficier il faut avoir une fréquence hertzienne. Elles sont donc inaccessibles aux radios uniquement sur Internet. Mais, pour tout un tas d’acteurs comme les festivals qui touchent des subventions, c’est aussi une façon d’en faire profiter d’autres acteurs de l’écosystème culturel. »
Désirée ou honnie, la publicité reste un sujet qui divise dans le milieu des webradios. « L’absence de publicité est ce qui nous distingue des radios traditionnelles », pense Alice Fion, qui organise des ateliers dans des centres sociaux pour financer sa radio, quand Antoine Dabrowski, qui vient de France Inter, estime que « ce n’est pas un gros mot ». Pour l’heure, Radio Meuh, l’une des plus anciennes webradios françaises, créée en 2007, est l’une des seules à en proposer. Forte de 1,5 million d’auditeurs par mois, elle a rejoint en 2021 le giron de Lagardère Publicité News pour commercialiser ses espaces publicitaires. Une pratique qui va être amenée à se développer, croit Charles de Potter, qui estime que « le marché de la publicité audio est en croissance et s’intéresse de plus en plus à l’audience des webradios. » Pour preuve, RadioKing va proposer cette année une solution de monétisation à ses clients. « On va intégrer la possibilité pour nos utilisateurs de diffuser de la publicité sur leur flux, en pré-roll et mid-roll. »
En attendant le DAB+
Selon Antoine Dabrowski, « le plafond de verre sera franchi le jour où l’on pourra écouter Tsugi Radio dans sa voiture, aussi facilement que France Inter ou Radio Nova ». Pour cela, il compte sur le développement du DAB+ (Digital Audio Broadcasting), la radio numérique terrestre, appelée à succéder à la radio FM. Son plus grand nombre de fréquences pourrait offrir l’opportunité à des webradios d’accéder à un réseau qui ne nécessite pas aux auditeurs d’être connectés à Internet. « Aujourd’hui, on peut écouter facilement une webradio dans sa voiture, développe-t-il, mais il faut connecter son téléphone, ce qui suppose une démarche active. On ne “tombe” pas sur une webradio. Le jour où leur accès sera implanté dans les autoradios, cela changera ce que l’on pourra négocier avec une agence publicitaire. »
En attendant la pub et le DAB+, de nombreuses webradios françaises espèrent aujourd’hui une reconnaissance de la part des pouvoirs publics, et pourquoi pas quelques aides. Soixante-quinze d’entre elles, dont Tsugi Radio et Ola Radio, ont créé en novembre 2020 l’Union des webradios françaises. « Durant le confinement, on se sentait un peu seuls, raconte Antoine Dabrowski. On voyait les aides qui tombaient pour une partie du secteur économique et culturel, mais rien pour nous. La première chose a été de se dire : “Parlons-nous et organisons-nous.” On avance lentement, mais on s’est structuré en association. On a obtenu des rendez-vous avec le ministère de la Culture, l’Arcom et le CNM, et on a été très surpris de voir qu’ils accueillaient notre démarche à bras ouverts, parce qu’ils avaient conscience du rôle des webradios auprès des scènes locales et émergentes. En revanche, ils n’avaient pas d’interlocuteurs et avaient du mal à avoir une cartographie de ce média. » Pour Alice Fion d’Ola Radio « On aide des artistes locaux, émergents, à se développer. On fait un vrai travail d’accompagnement artistique. On aimerait désormais être reconnu comme un vrai média. »
Publié le 13 mars 2023