Encore rares au début des années 2010, les arénas se sont récemment multipliées en France. Salles dédiées à la fois au sport et au spectacle, elles connaissent un essor qui va de pair avec l’engouement pour la musique live et boostent la billetterie des concerts en région.
Un zénith pour les concerts et un palais des sports pour l’équipe féminine de handball. C’est ce qui avait été envisagé à Brest à la fin des années 2000. Une idée qui a fait long feu, se réjouit aujourd’hui Stéphane Maby. Directeur général de Brest’aim, il gère notamment la Brest Arena, salle dédiée au sport et au spectacle qui a finalement pris le pas sur ces deux projets et fête cette année ses dix ans d’existence. Car pourquoi se doter d’un zénith et d’un palais des sports quand on peut se contenter d’une aréna ? « On a la chance d'avoir un club très performant, le Brest Bretagne Handball, explique-t-il, mais le taux de remplissage d’un palais des sports dépend des résultats de son club résident. Et en ce qui concerne les concerts, avec une salle type zénith à Brest, on pouvait se poser la question du nombre de dates. Il a finalement été décidé de mutualiser les deux activités. À raison. »
Un choix qui va dans le sens de l’histoire. En 2008, ouvre à Strasbourg le dernier des dix-sept zéniths français, ces grandes salles de concert d’une capacité de 7000 places en moyenne dédiées aux musiques actuelles. Des salles lancées dans les années 1980 par Jack Lang, alors ministre de la Culture. Deux ans plus tard cependant, le secrétariat d’Etat aux sports tire déjà la sonnette d’alarme dans un rapport appelé « Arenas 2015 » : la France manque de grandes salles polyvalentes. Le Palais Omnisport de Paris-Bercy - pas encore rebaptisé Accor Arena - y est qualifié « d’arbre qui cache la forêt ». Le rapport souligne que « la séparation des usages sport/spectacle est à présent dépassée » et que « la France est passée à côté de l’émergence européenne des grandes salles multifonctionnelles ». Dans le même élan, il préconise la construction d’arénas, enceintes « pouvant recevoir de grandes compétitions sportives » mais aussi de « grandes productions culturelles ». La décennie suivante verra le retard français se combler : une dizaine d’arénas voient le jour en France, de 5000 places, pour les plus modestes, à 40 000 pour celle de la Défense, aujourd’hui la plus importante salle de spectacle d’Europe. Le rythme s’accélère d’ailleurs, puisque ces deux dernières années sont sorties de terre l’Arena Futuroscope à Poitiers, la Reims Arena, la Lyon LDLC Arena, l’Orléans Arena et l’Adidas Arena à Paris.
« Plus on a de concerts organisés dans l'ensemble de notre territoire et plus cela génère de droits d’auteur. »
S’il est fréquent que le sport soit le catalyseur qui amène à l’édification de ces salles — le rugby à la Défense, le basket à Lyon et à Paris, le handball à Rennes et à Aix — l’essor des arénas est allé de pair avec celui de la musique live en France. « Vu l'appétence du public pour les concerts ces dernières années, et notamment sur les concerts de grosse jauge, les arénas ont très vite trouvé leur place dans le marché de la musique live, constate Christophe Davy, patron de Radical Production, une agence de booking et de production de concerts qui s’occupe notamment de Placebo, de Foo Fighters ou des Artic Monkeys. Ces salles sont un outil de développement du secteur, qui permettent de répondre à une offre conséquente et à une demande qui suit. »
Le Centre national de la musique souligne ainsi qu’entre 2010 et 2019 l’évolution des recettes de billetterie sur les concerts a augmenté de 75% en région (48% en Île-de-France). Un dynamisme qu’elle impute à la multiplication des arénas sur l’ensemble du territoire. Et qui ne se dément pas. « Il y avait une grande crainte après le Covid : est ce que les gens allaient revenir dans les salles, analyse Vanessa Pigeaux, responsable du pôle spectacle à la Sacem, mais c'est l'inverse qui se passe. Tous les concerts dans les arénas sont complets, souvent des mois avant la date du spectacle, alors que dans le même temps, entre 2022 et 2023, le prix des billets a augmenté de 18% sur les salles de plus de 5000 places. Pour donner un ordre d’idées, au pôle spectacle, nous avons collecté 48% de droits d’auteurs en plus en 2023 sur la billetterie concert par rapport à 2019. C’était déjà une année record. Plus il y a des salles de grandes capacités, plus nous avons de grands artistes, plus il y a de concerts organisés dans l’ensemble de notre territoire et plus cela génère de droits pour les auteurs, compositeurs et éditeurs des oeuvres jouées à cette occasion.»
Une dynamique dont Stéphane Maby peut également témoigner. Pour les seuls spectacles, hors événements sportifs, la Brest Arena et ses 5500 places ont accueilli l’an dernier 156 000 spectateurs, son record de fréquentation. « Brest, à travers cette aréna est désormais devenue une étape régulière pour les tournées nationales, attirant des artistes qu'elle n'aurait pas reçus avant sa construction. Les producteurs de spectacles se posaient parfois la question de la concurrence avec Rennes et Nantes, elle ne se pose plus. Un producteur qui vient présenter un concert à Brest est quasi certain de remplir. L'aréna a comblé un manque. »
Un constat similaire du côté de Reims, qui possède une aréna depuis février 2022. « Auparavant, il n'y avait pas de salle de grande capacité pour le spectacle ou le sport, précise Carole Revel, sa directrice, seulement des salles d’expo à Épernay et Châlons-en-Champagne. » Dès sa première année d’exploitation, cette enceinte, qui propose principalement des concerts, mais accueille aussi une partie des matchs du club Champagne Basket, a reçu près de 100 000 spectateurs. « Il y a une vraie demande pour ce type de salle dans la région, on l’a tout de suite senti. Les commerçants et les restaurateurs aussi, l’Arena étant située en centre-ville. » Modulable, elle permet de proposer une dizaine de jauges différentes, de 2000 à 10 000 personnes. Une polyvalence qui, assure sa directrice, ne nuit pas à l’acoustique du lieu.
« Sur le papier, une salle de type zénith, avec sa forme de théâtre antique romain, est un espace fait pour le spectacle vivant, qui doit normalement être mieux adapté d’un point de vue acoustique ou scénographique, relève Christophe Davy, patron de Radical Production. Mais en fin de compte, il n’y a pas vraiment de différences majeures, cela dépend des salles. On peut avoir des arénas avec de très bonnes acoustiques comme des zéniths avec de moins bonnes. Les arénas sont de toute façon conçues pour accueillir des concerts, avec des accès pour les camions, des loges artistes, des accroches... » Le débat entre les deux types de structures est de toute manière obsolète, puisque le programme de construction de Zénith a été stoppé. « Pour faire une comparaison, il y a trente ans, on construisait dans les villes des piscines et des zéniths, aujourd’hui ce sont des centres aquatiques et des arénas, résume Thierry Biskup. Directeur des opérations chez GL Events Venues, l’un des principaux créateurs d’arénas en France, il s’est notamment occupé de celle d’Orléans, inaugurée en janvier 2023, qui a la particularité d’avoir été érigée à proximité d’un zénith, avec pour objectif de le compléter en proposant du sport et des spectacles de plus grande envergure avec ses 10 000 places. « Mais il ne faut pas seulement voir l'aréna comme un lieu où on va faire plus de monde, tempère-t-il. L’idée du programme zéniths, et on en est très fiers en France, était de proposer des lieux d’expression aux artistes, mais avec un cahier des charges assez restrictif, avec 70% de concerts, sans loges ou espaces VIP. L’aréna d'Orléans a vingt-six loges, ce qui permet de faire des actions de relations publiques et d'impliquer les entreprises. Demain, elle portera peut-être le nom d'un sponsor, ce que je ne peux pas faire dans un Zénith. »
Autre différence non négligeable selon lui : la possibilité de proposer des concerts sur une scène centrale, au milieu de la salle. « Si dans dix ans, on a une vingtaine d'arénas avec une grosse capacité en France, il est probable que certains artistes concevront des spectacles adaptés à la forme de ces salles, avec une scène centrale. La multiplication des arénas va probablement lancer une réflexion autour de la forme même que prendront les spectacles du futur. » Un vœu loin d’être pieux. Alors que deux nouvelles arénas vont ouvrir cette année à Chartres (Le Colisée) et au Tremblay-en-France (Arena Grand Paris), d’autres projets sont déjà en cours aux Sables-d’Olonne, à Dunkerque, Valenciennes et Nantes.
Publié le 13 mars 2024