Programmateurs de Smac : un job passion

Toucher un maximum de gens tout en défrichant les talents de demain, s’adapter à un territoire et l’ouvrir à de nouveaux horizons, telle est l’ambition des Scènes de musiques actuelles (Smac) qui s’emploient depuis vingt-cinq ans à trouver le bon équilibre. Subventionnées, ces salles de concert ont pour mission de favoriser l’émergence artistique et la diversité musicale. Une tâche pas toujours évidente, mais à laquelle leurs programmateurs s’attèlent souvent avec passion.

En quoi consiste le travail d’un programmateur ? C’est une question à laquelle Amandine Thibault commence à avoir l’habitude de répondre. En charge de la programmation de l’Espace Michel Berger à Sannois, dans le Val-d’Oise, une salle de concert de 500 places plus connue sous l’acronyme d’EMB, elle donne depuis octobre dernier des cours en stratégie de programmation à l’IESA, et à l'ICART, deux écoles parisiennes qui forment aux métiers de la culture et de l’art. « C’est un job passion, résume-t-elle. La journée, on est assis derrière un bureau à répondre à des mails et à passer des coups de fil, mais le soir, on va voir des concerts. Car une grosse part du métier consiste à faire de la veille artistique, découvrir de nouveaux projets, suivre ce qui se fait, mais également travailler son réseau. C’est ce que je répète à mes étudiants. On travaille main dans la main avec les bookeurs, les producteurs de spectacles. C’est grâce à eux que je peux mettre en place ma programmation. »

L'Espace Michel Berger de Sannoy ©copyright

Celle de l’EMB comprend une quarantaine de concerts par an, couvrant une large palette de styles musicaux, qui va du rock aux musiques électroniques, en passant par le hip-hop, le reggae et la chanson française. Avec une particularité, la salle est labellisée Scène de musiques actuelles (Smac), c’est-à-dire subventionnée par le ministère de la Culture et les collectivités territoriales, avec pour objectif de refléter la diversité d’expression des musiques actuelles et répondre à des missions d’accompagnement d’artistes. « On a un cahier des charges à respecter, explique Amandine Thibault. Soutenir les artistes émergents, mettre en avant la scène locale, les femmes et représenter toutes les esthétiques des musiques actuelles. En somme, on est là pour animer un territoire de manière éclectique et toucher le plus de monde possible. »

DES SPECIFICITES TERRITORIALES

Le label SMAC, créé en 1998, concerne 92 lieux en France. Il ne va pas sans quelques contraintes, surtout lorsqu’on a en charge une salle de taille relativement importante, comme peut l’être par exemple L’Autre Canal, à Nancy, avec sa jauge de 1 300 places. « C’est un jeu d’équilibriste entre têtes d’affiche et artistes émergents, reconnaît Clément Mijadec, son programmateur. On a forcément intérêt à ce que notre salle soit remplie, mais malgré ça, on a cette volonté de travailler sur des formats de niche ou d’émergence sur lesquels on sait qu’on ne va pas être complet, de défendre des coups de cœur. On met aussi un point d’honneur à toucher toutes les générations, aussi bien les ados que les plus de 60 ans. »

Une quête de diversité qui ne peut toutefois pas s’envisager sans prendre en compte les particularités géographiques propres à chaque lieu. « Chaque territoire a ses spécificités, souligne-t-il. Il y a des esthétiques qui plaisent plus que d’autres selon les endroits. Dans la salle où je travaillais auparavant, à la File7, en Seine-et-Marne, c’était le métal, le reggae et le rap qui se démarquaient. À Nancy, où on est dans un bassin avec 50 000 étudiants, ce qui marche le mieux, c’est l’électro et le rap. » « Il faut avoir une cohérence au niveau de la programmation, pointe pour sa part Fred Joao, directeur et programmateur du Club, à Rodez, un lieu créé il y a dix ans, labellisé Smac depuis trois ans, qui compte une salle de 300 places et deux plus petites. On essaie de proposer le plus grand nombre d’esthétiques possibles, du blues au hip-hop, pour que tout le monde s’y retrouve, mais l’électro-pop, tout ce qui est assez citadin, on va dire, on a presque arrêté, ça ne réagit pas du tout. Si on fait 70 personnes une fois, ça va, mais si on enchaîne, on creuse notre tombe. »

Tutti la chorale du Club de Rodez ©Jonathan Bayol

Dans une salle comme la sienne, où, faute de budget, et encore plus depuis l’inflation post-Covid, « on programme des artistes “découvertes” ou semi-têtes d’affiche, pas ceux qu’on entend à la radio », tisser un lien de confiance avec son public est l’un des enjeux de la programmation. « L’idée, c’est de dire aux gens : l’artiste que vous verrez ce soir explosera peut-être dans deux ou trois ans. C’est la caractéristique des salles rurales comme la nôtre. Le public nous fait confiance pour découvrir des artistes. » En essayant, dans la mesure du possible, que ce soient des locaux. « On essaie de participer au développement d’une scène locale. On peut aider un groupe à être programmé ailleurs, lui trouver des résidences, monter des dossiers auprès du Centre National de la Musique… Quelques artistes qu’on a accompagnés commencent à sortir, comme Lombre ou Antes & Madzes. C’est une fierté. »

Un travail d’accompagnement soutenu par la Sacem, qui a mis en place un programme d’aide aux salles de musiques actuelles. « Cette année, on a soutenu 183 salles de concert, dont 89 Smac, détaille Alice Falk, responsable Action culturelle de la Direction du réseau de la Sacem. C’est une aide financière, qui va de 3 000 à 12 000 euros par an, destinée aux salles qui soutiennent la création à travers des dispositifs d’accompagnement et d’aide à la structuration professionnelle des jeunes artistes. La proportion d’artistes émergents dans la programmation est l’un des critères d’attribution. Car la mission de la Sacem, c’est de rémunérer ses membres, bien sûr, mais aussi de faire en sorte que la création musicale se porte bien. C’est le cœur du réacteur. »

TOUCHER TOUTES LES TRANCHES D’ÂGE

Pour autant, amener le public à découvrir sur scène de nouveaux artistes n’est pas toujours chose aisée. Et le serait même de moins en moins, comme l’indique Amandine Thibault. « Aujourd’hui, notre principale problématique, c’est le remplissage lorsqu’on propose des artistes en développement. Et c’est un constat qui ne s’applique pas qu’à l’EMB. Entre collègues, on y réfléchit : comment permettre à ces artistes de jouer dans les meilleures conditions ? Il y a un questionnement autour des soirées découvertes, qui fonctionnent de moins en moins bien, même si l’entrée est gratuite. Pour ma part, je préfère préconiser des programmations en première partie ou des co-plateaux. Il faut aussi essayer de sensibiliser le public. Le jeune public a moins cette curiosité qu’auparavant d’aller voir des artistes qu’il ne connaît pas. »

L’une des pistes pour réveiller cette curiosité est peut-être de s’adresser à un public encore plus jeune. Depuis quelques années, le mercredi ou le dimanche après-midi, de nombreuses Smac programment des concerts ou spectacles musicaux à destination des tout petits, dès l’âge de 3 ans. « On essaie de proposer quelque chose qui se rapproche de l’expérience du concert, précise Amandine Thibault, de sorte de donner envie aux enfants d’aller à des concerts plus tard. » Une proposition qui plaît, comme le confirme Clément Mijadec. « C’est quelque chose qui marche énormément, que ce soit auprès des enfants ou des parents. Les formats sont adaptés évidemment, au niveau des décibels ou de la proposition artistique. Encore une fois, on a une volonté de toucher toutes les tranches d’âge, donc ça nous intéresse beaucoup. »

Même son de cloche dans l’Aveyron, où les spectacles à destination des enfants et des scolaires ont pris une place croissante dans la programmation du Club. Ce type d’évènement a d’ailleurs laissé à Fred Joao l’un de ses meilleurs souvenirs en tant que programmateur. « Manu Chao, qu’on connaît depuis une quinzaine d’années, qu’on aime bien et qui nous aime bien, était de passage à Rodez. C’était un vendredi soir. Il m’appelle, vient dormir dans l’appartement qu’on a au-dessus de la salle et apprend qu’on a un spectacle le dimanche pour le très jeune public. Il me demande s’il peut y participer. Je lui dis oui. Le spectacle durait vingt-cinq minutes. Quand ça s’est terminé, il est monté sur scène avec sa guitare et a joué pendant une heure. C’était dans l’auditorium, il y avait 60 personnes. Les petits ne comprenaient pas trop, lui jetaient des confettis, et les parents, ben… ils hallucinaient ! Ils avaient payé 6 euros et ils avaient un concert de Manu Chao. »

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Publié le 19 janvier 2024