Les NFT vont-ils chambouler l’industrie musicale  ?

Depuis quelques mois, les NFT sont partout. L’industrie de la musique n’est pas épargnée, et de plus en plus d’artistes proposent aujourd’hui des œuvres virtuelles commercialisées par le biais de ce nouveau système. Simple épiphénomène ou véritable révolution ? On fait le point.

Si vous n’êtes pas branché metavers et cryptomonnaie, il est probable que le concept de NFT vous soit encore un peu opaque, voire complètement abscons. Difficile pourtant d’y échapper, ce terme est omniprésent dans les médias et sur les réseaux sociaux depuis plusieurs mois. Mais alors, c’est quoi un NFT ? Littéralement, c’est l’acronyme de « non-fungible token » ou, en français, un jeton « non fongible » unique et non interchangeable.
En clair, il s’agit d’un fichier numérique qui renferme un certificat de propriété lié à une œuvre numérique ou physique, et pouvant représenter un droit d’accès à du contenu exclusif. Pour simplifier, c’est l’équivalent d’un certificat de propriété pour une sculpture ou un tableau, qui peut accompagner une œuvre virtuelle (clip, morceau, image en 3D, etc.). On est loin du vinyle déniché chez le disquaire diront les puristes, mais c’est sensiblement la même démarche : investir dans un objet qui soit unique, ou en édition limitée, et le conserver précieusement, ou le revendre en espérant réaliser une belle plus-value. Là où cela se complique, c’est que dans la plupart des cas on ne peut pas acheter ces NFT avec des euros ou des dollars, mais uniquement avec des cryptomonnaies, comme des ethers par exemple. La transaction une fois effectuée est conservée sur une « blockchain », un registre numérique sur lequel sont stockées les informations liées à ces opérations. Un genre de livre de comptes en ligne donc, mais ultrasécurisé. Vous suivez ?

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Un succès fulgurant    

Selon une étude menée par la journaliste américaine Cherie Hu, experte des cultures web, les ventes de NFT liées à la musique ont atteint plus de 60 millions de dollars entre juin 2020 et avril 2021.

Et quels styles musicaux sont en tête des demandes ? La musique électronique tient le haut du pavé, représentant 80 % des ventes, puis le hip-hop (8,6 %) et enfin le rock (6,7 %).
Aux États-Unis, tous les artistes s’y mettent. Leurs œuvres digitales prennent le plus souvent la forme de vidéos ou d’images animées accompagnées de titres inédits.
En France, la pratique a ses adeptes, mais à une échelle beaucoup plus réduite. Parmi les pionniers, on peut citer Booba. Le Duc de Boulogne (aujourd’hui installé aux États-Unis) a vendu en automne dernier 25 000 exemplaires de cinq cartes animées donnant accès à son clip « TN » (à l’époque inédit), mais aussi la possibilité d’être tiré au sort pour assister à son concert au Stade de France le 3 septembre prochain. 

Au même moment, le producteur et DJ Agoria a proposé, en parallèle de la sortie de son nouvel album .dev, une collaboration avec le chercheur et microbiologiste Nicolas Desprat. Leurs œuvres organiques associent de la musique électronique à des images de bactéries observées au microscope. Et ce n’est que le début. Le producteur et DJ lyonnais est emballé par cette nouvelle technologie, comme il l’a récemment confié au micro du podcast Les éclaireurs du numérique : « Il y a deux ans je ne savais pas ce qu’étaient les NFT et aujourd’hui c’est en train de devenir le moteur principal de mon inspiration créative. Il me semble certain que les NFT et tout ce qui va en découler seront la meilleure passerelle d’expression pour les artistes, ainsi qu’un bon moyen pour le public de les découvrir et d’en parler. Ce qui se passe en ce moment est uniquement la phase 1, tout ça va se développer à la vitesse de l’éclair. »

« Des escrocs et des pigeons »

S’il a ses fans, le NFT possède aussi ses détracteurs. Et pas des moindres. Comme le pionnier des musiques électroniques et producteur de génie Brian Eno. « La plupart des gens qui imaginent les NFT pensent surtout à la façon dont ils vont pouvoir gagner de l’argent avec et pas à la façon dont nous pourrions rendre le monde meilleur, a-t-il récemment expliqué au média en ligne The Crypto Syllabus. J’ai été approché à plusieurs reprises pour faire un NFT. Jusqu’à présent, je n’ai pas été convaincu qu’il y avait quelque chose d’intéressant à faire dans ce domaine. Pour moi, “faire quelque chose de valable” implique de créer quelque chose qui apporte une valeur ajoutée au monde, et pas seulement à un compte bancaire… Les gens que j’apprécie et en qui j’ai confiance sont convaincus qu’on n’a rien inventé de mieux depuis le fil à couper le beurre. J’aimerais avoir une vision plus positive, mais pour l’instant, je vois surtout des escrocs qui cherchent des pigeons. Et beaucoup d’artistes prêts à jouer ce rôle. »

Il n’est pas le seul à résister au chant des sirènes digitales. Kanye West a récemment expliqué sur son compte Instagram qu’il ne voulait pas participer à cette course effrénée, du moins pas pour l’instant. Des propos étonnants de la part de la star américaine, toujours à la pointe de la technologie : « Je me concentre sur la construction de vrais produits dans le vrai monde, la vraie nourriture, les vrais vêtements, le vrai foyer. Ne me demandez pas de faire des putains de NFT. » Avant de conclure : « Demandez-le moi plus tard. » Affaire à suivre donc.

Le futur de la musique ? 

Certes, pour certains, les NFT sont un moyen rapide de gagner des sommes colossales, mais l’appât du gain n’est heureusement pas la seule motivation des artistes qui se lancent dans cette aventure. Déjà parce que NFT ne rime pas obligatoirement avec succès, mais aussi parce que beaucoup y voient surtout une opportunité d’explorer un nouveau terrain de jeu.

C’est le cas du producteur d’électro minimale NTO qui a fait gagner sa première œuvre en NFT par tirage au sort en décembre dernier. Rien à débourser pour ses fans donc, juste à renseigner leurs coordonnées. « Cette opération a été lancée un mois après la sortie de son album, Apnéa, explique Adrien Bosom, directeur du marketing digital chez Believe, label qui héberge l’artiste. Cet album est né de sa rencontre avec Arthur Guérin, champion du monde d’apnée. On a donc eu l’idée de tourner une vidéo avec Arthur et de la proposer en NFT. » Un partenariat dont le résultat, un clip unique et exclusif (qui n’a été diffusé nulle part), appartient aujourd’hui à la jeune femme qui a remporté ce concours.

C’est le seul projet en NFT lancé par ce label 100 % digital jusqu’ici (et qui a signé des artistes d’envergure comme Jul et PNL). Une stratégie qui peut paraître surprenante vu l’engouement du moment autour de cette nouvelle façon de penser et de consommer la musique. « Innovation ne veut pas forcément dire précipitation, explique Adrien Bosom. Pour l’instant on est encore en phase d’observation. Les artistes sont en demande, mais ce type d’opération doit s’inscrire de manière pertinente dans un projet. On fera sans doute d’autres NFT. Reste à savoir quand et comment. » 

Qu’on le veuille ou non, les NFT ont donc toutes les chances de devenir incontournables dans l’industrie de la musique. De quoi faire chauffer les méninges des artistes (et des serveurs qui hébergent toutes ces données d’un nouveau genre).

Céline Puertas

Publié le 09 mars 2022